Jeter son tablier de cuisine et prendre les armes – 2è partie

Suite et fin de la traduction de cet article.

Découvrir la liberté dans une cellule de prison

Bien qu’il soit tentant de considérer que les contacts avec les féministes non-impliquées dans la lutte armée ont été la cause essentielle de la formation du féminisme républicain, c’est pourtant une idée erronée. C’est la politisation des femmes dans le Nord et les emprisonnements de républicaines qui ont été les facteurs-clés du surgissement du féminisme républicain. Comme le dit l’ancienne dirigeante du département des femmes de Sinn Fein : « Les femmes dans la lutte nationaliste se rendaient compte au fur et à mesure des facteurs qui les inhibaient dans l’accomplissement de leurs tâches, ce qui fait que leur conscience, une conscience féministe, se développait sur la base de leur activité politique sur le terrain. Elles ont pu être influencées par le mouvement féministe et par le travail de ces féministes, mais ce qui les influençait le plus, c’était leur propre existence. Il serait faux de dire que des féministes se soient mises soudain à influencer le mouvement. »

Dans le processus de leur politisation, des femmes se rendirent compte des connexions qui existaient entre les différentes facettes de leur identité : leur caractère prolétaire, leur caractère irlandais, leur catholicisme, leur genre et leur ancrage local. Les femmes républicaines insistent sur le fait que c’est leur engagement dans le républicanisme qui les a menées à acquérir une conscience politique dans d’autres sphères, dont le féminisme. Leurs séjours en prison pour la cause républicaine est ce qui leur a permis de découvrir d’autres idéologies politiques : « Au cours de ma vie, je me suis toujours identifiée avec le droit des femmes et l’égalité. Mais pendant mon emprisonnement, ma vision du monde s’est élargie… j’ai acquis un point de vue féministe général sur le monde. »

Ce processus de transformation s’explique en grande partie par les expériences vécues par les prisonnières politiques. Il est cependant opportun de rappeler que l’extension de la lutte de libération des femmes a rendu possible l’organisation de ce combat à l’intérieur du mouvement républicain. Pour les républicaines féministes, c’est la « politique de rue » qui a initialement politisé les femmes et les a poussées à s’engager dans le mouvement républicain. On ne peut pas sous-estimer toutefois le rôle joué par les séjours en prison dans l’élaboration d’une conscience féministe républicaine. Au départ, les femmes républicaines considéraient que la lutte nationale déterminait toutes les autres questions, mais les expériences carcérales finirent par les convaincre que leur sort de prisonnières avait à voir avec leur sexe, et qu’elles étaient doublement opprimées en tant que républicaines et en tant que femmes.

« Nous autres, femmes républicaines emprisonnées pour nos idées politiques, pensons que les luttes pour la libération nationale et pour la pleine égalité des femmes ne sauraient être séparées. Avant notre emprisonnement, nous nous acquittions de nos tâches dans la lutte et étions acceptées en tant qu’égales par nos camarades hommes, à quelques exceptions près. Bien que la condition des femmes dans la société au sens large ne soit pas sous le signe de l’égalité, en tant que volontaires femmes, nous avons participé pleinement à la guerre. Peu d’entre nous avaient pris part au mouvement des femmes ou consacré beaucoup de temps à la lutte pour les droits des femmes. Bien que les droits des femmes soient évidemment importants à nos yeux, nous pensions que débarrasser les Britanniques de notre pays était une chose plus importante, et que les autres problèmes pourraient être résolus lorsqu’ils s’en iraient. En prison, lors des discussions et des débats, nous avons contribué à notre éducation mutuelle et élargi nos horizons politiques. Il est vital pour le succès de notre révolution que nous nous libérions de toutes les formes d’injustice. Ce rapport de pouvoir doit être changé pour qu’un genre ou une race ne puissent plus avoir le moyen d’en exploiter un ou une autre. Les hommes et les femmes doivent avoir des droits égaux et des chances égales pour que  l’Irlande devienne authentiquement socialiste. »

Ces femmes furent l’objet de conditions de détention abominables. Elles durent subir le harcèlement physique et sexuel des gardiens de prison et de leurs supérieurs. Leurs corps étaient traitées comme un champ de bataille par des membres de l’Etat britannique, la preuve la plus flagrante étant les fouilles corporelles. Leur traitement par les gardiens, les insultes et remarques à caractère sexuel, le retrait des protections sanitaires une fois la grève de l’hygiène commencée à Armagh, la faible quantité de tampons à leur disposition en dehors des périodes de grève de l’hygiène, les fouilles corporelles, les sous-entendus sexuels, toutes ces choses leur permirent de comprendre que leur expérience particulière avait à voir avec le fait qu’elles étaient femmes. En outre, les obstacles qu’elles rencontrèrent lorsqu’elles émirent le souhait de participer aux grèves de la faim et aux révoltes carcérales leur montrèrent que leur expérience était différente de celle de leurs camarades hommes, que leurs problèmes n’étaient pas les mêmes, et qu’une approche féministe était nécessaire pour faire face à cette inégalité.

« En arrivant à Armagh, j’ai été choquée par ce que je voyais. Ce n’est pas tant l’expérience de l’emprisonnement qui me choquait, mais plutôt mon manque de connaissances et de compréhension au sujet des conditions de détention de mes camarades femmes. Lors de cette période à Armagh, même si elle fut de courte durée, j’ai beaucoup appris sur la lutte en prison, ce qui a influencé mon développement politique et personnel et a m’a fait davantage prendre en considération la nécessité de l’égalité des sexes dans la société et dans notre mouvement. Je savais cela d’expérience, je voyais qu’une attention inégale était portée aux femmes en grève de la faim et en grève de l’hygiène, que peu de discussions intenses portaient là-dessus. Cherchant à comprendre pourquoi il en était ainsi, je conclus que la sous-estimation de la contribution des femmes dans notre lutte ne venait pas seulement du fait qu’on ne parlait que de Long Kesh comme de « la » prison abritant des prisonniers de guerre, mais aussi d’une formation sociale qui reflète le pouvoir et l’intérêt particulier de ceux qui œuvrent à la création d’une société où le masculin domine. »

Beaucoup de femmes ont employé leur incarcération à « éclairer leur lanterne avec de la littérature féministe », ce qui les a menées à soulever les « questions féminines » au sein du mouvement républicain. Elles se donnaient des cours entre prisonnières,  lisaient et discutaient ces lectures, qui avaient trait à l’importance du féminisme pour leur propre libération.

La prison fut une école pour ces femmes, leur permettant de mieux comprendre les aspects de leur oppression. Comme le dit une ancienne prisonnière : « Pour moi, l’expérience la plus marquante a été Armagh. J’en sortis changée, différente et plus forte, mais je ne m’en suis pas rendue compte tout de suite. C’est avec cette force et cette détermination nouvelles, en plus de l’éducation féministe acquise en prison, que des femmes ont pu mobiliser leurs nouvelles capacités politiques pour porter devant leur mouvement les questions qui les concernaient en tant que femmes. C’est la conjugaison de ces facteurs qui ouvrit la voie au développement du féminisme républicain, qui gagne en puissance aujourd’hui encore. »

L’idéologie féministe républicaine

Si le genre de féminisme qui a émergé parmi les femmes républicaines doit son existence à des circonstances uniques, l’émergence d’un nationalisme féministe en situation de lutte armée n’est pas un cas unique. Des études sur les Sandinistes au Nicaragua, la lutte armée palestinienne et d’autres mouvements de libération nationale ont montré des exemples de féminisme révolutionnaire ou de nationalisme féministe. Chacun de ces projets féministes avait ses objectifs et réussites propres, liés à leur terrain politique propre, mais ils avaient tous en commun de lier l’auto-détermination à l’émancipation féminine.

Pour ces républicaines du Nord de l’Irlande, les questions de sexe, de classe, d’affiliation religieuse et d’ethnicité s’entrecroisaient pour aboutir à une perspective féministe qui fit des remous. Non seulement ces républicaines devaient lutter pour être acceptées dans le mouvement républicain à dominance masculine, mais aussi pour faire entendre leur voix dans la communauté féministe, au sens large, du Nord (et la question de savoir si cela a pu vraiment avoir lieu reste indécise). Ces républicaines ne pouvaient pas compter sur le soutien de la communauté féministe au sens large, ce qui n’allait pas sans complication pour leur projet. En tous cas, ce qui en sortit fut un projet dont les promesses concernant l’émancipation féminine étaient plus progressistes que celles des féministes majoritaires.

Les féministes républicaines considéraient que leur oppression en tant que femmes dérivaient de facteurs sociaux, économiques et politiques qui opéraient à partir du fait de la partition de l’Irlande par les Britanniques. Comme le dit une féministe républicaine :

« En ce qui me concerne, je ne peux pas m’empêcher de penser que la vie d’une femme est plus difficile en Irlande que dans d’autres pays, parce que l’Irlande est dominée économiquement et politiquement par l’impérialisme britannique. Ce n’est pas seulement de la rhétorique. La violence institutionnalisée dans les six comtés domine chaque segment de l’existence. Elle nous impose des affres économiques, la restriction des droits démocratiques, des désavantages douloureux dans certains quartiers pour ce qui est du logement et des soins médicaux, sans parler de la menace constante du harcèlement, de l’emprisonnement, et même de l’assassinat par les forces de sécurité. La partition de l’Irlande a déformé et bloqué le développement du mouvement ouvrier et du mouvement des femmes, tout en privant les femmes d’ici des avantages limités qui ont pu être gagnés ailleurs. Mais il n’y a pas de « question féminine » en Irlande qui ne soit détachée de la réalité de la domination coloniale britannique, et aucun mouvement de femmes n’est immunisé contre ses effets. Voilà pourquoi il y a des femmes qui sont là pour lui opposer une résistance armée, et voilà pourquoi ce sont les femmes qui ont été la colonne vertébrale de cette résistance. »

Cette citation résume bien la perspective générale du féminisme républicain, selon laquelle la condition des femmes en Irlande est directement liée à la partition. Par conséquent, toute tentative d’émancipation des femmes doit affronter le problème de la présence britannique dans les six comtés. La lutte pour l’auto-détermination de l’Irlande ne peut être séparée de « l’auto-détermination des femmes ».

« Le concept d’auto-détermination est à mon avis ce qui définit le mieux le féminisme républicain. Ce concept est sans doute mieux connu sous son aspect nationaliste que féministe, mais il a clairement un sens féministe aussi. L’auto-détermination, c’est le droit et la capacité de faire des choix véritables sur ce qui touche à nos vies : notre fécondité, notre sexualité, le soin et l’éducation des enfants, les moyens d’être indépendante, et tous les domaines dans lesquels on nous prive d’autonomie et de dignité, dans les différentes facettes de notre identité de femmes. »

Avec ce projet d’auto-détermination, les femmes républicaines cherchaient à faire naître la conscience de leur sort particulier en tant que femmes républicaines.

Le travail d’organisation des féministes républicaines

Les féministes républicaines ont mené leur travail d’organisation des femmes selon deux axes : à l’intérieur de l’arène politique classique pour y produire un changement, et dans la communauté, pour faire prendre conscience de certains problèmes importants à leurs yeux et pour procurer une base de soutien pour les femmes, républicaines ou non. Cinq points étaient au centre de leur action : 1. rendre plus accessible aux femmes la compréhension des enjeux politiques, 2. les droits touchant à la procréation, 3. la violence domestique, 4. l’égalité pour les lesbiennes et les gays, et 5. procurer des « espaces de sécurité » pour les femmes républicaines qui étaient dans l’incapacité d’en trouver étant donné la division sectaire de la société du Nord.

Les femmes et la politique formelle

Après avoir développé une conscience féministe, les femmes républicaines se sont ralliées pour faire entendre leur voix plus avant dans le mouvement républicain, dont l’élément le plus visible est Sinn Féin. « Au départ, je pense que les femmes se sont mises ensemble dans le cadre de leur engagement dans la lutte nationaliste, qui les a politisées au sujet de leur propre oppression. Les femmes se sont réunies pour discuter de ce qui les affectait, non seulement en tant que femmes, mais en tant que femmes activistes politiques, et elles ressentirent le besoin d’avoir leur voix politique propre à l’intérieur du parti. »

Elles parvinrent à former leur propre voix politique organisée dans Sinn Fein, ce qui a fait gagner à ce dernier des gains significatifs, comme beaucoup d’observateurs l’ont remarqué. Les féministes républicaines dans Sinn Fein ont tenté de faire en sorte que le parti soit mieux disposé envers les femmes. Ces féministes se préoccupaient de questions touchant à la participation formelle des femmes dans la politique républicaine, y compris dans les discussions touchant à la paix. Elles souhaitaient plus de visibilité pour les militantes du parti, l’organisation de crèches pour permettre aux femmes de participer davantage et l’institution de mécanismes encourageant les femmes à adopter des attitudes formellement politiques.

Le premier succès, et le plus significatif, fut la formation d’un département féminin dans Sinn Fein en 1980. Ce département féminin « naquit suite à la prise de conscience que les femmes devaient avoir une voix politique organisée dans Sinn Fein. Des femmes arrivèrent des 32 comtés pour discuter de leur travail dans Sinn Fein, des problèmes qu’elles rencontraient dans l’accomplissement de leurs tâches en tant que militantes politiques, et de la nécessité pour Sinn Fein d’adopter une politique progressiste sur des questions importantes non seulement pour les femmes, mais pour la société toute entière. »

Cette mobilisation des femmes transforma la face publique de la politique républicaine et transforma son organe politique, Sinn Fein, en une force politique plus progressiste. « Le département avait changé la donne, en rassemblant beaucoup de femmes qui auparavant se sentaient mal et aliénées à l’intérieur des cadres de la politique formelle. Le département était un centre organisateur pour les membres féminines de Sinn Fein, leur donnant un moyen d’affecter la politique du parti, chose qui était un des objectifs principaux du département, lequel impliquait les femmes dans l’élaboration de la ligne politique, de façon à ce que celle-ci reflète les besoins de toutes les femmes. »

Le contribution la plus notable du département féminin de Sinn Fein fut la rédaction d’un document programmatique spécifique concernant les femmes, le premier du genre dans tout l’éventail politique du Nord de l’Irlande. Ce document, soutenu unanimement lors de l’Ard Fheis [conférence annuelle] de 1980, ouvrit la voie à un Sinn Fein mieux disposé envers les femmes. Parmi les points du document, on note un appel à un accès légal et facilité au divorce, à une prise en charge publique des enfants, au partage du soin et de l’éducation des enfants par les deux parents, à une contraception libre et accessible (et au blâme des médecins qui refusent de délivrer des contraceptifs), à un conseil en matière de procréation et à une éducation sexuelle.

Le département féminin se porta aux premières loges pour promouvoir la participation des femmes dans la lutte armée et pour faire prendre conscience des droits et devoirs des femmes dans les diverses branches du mouvement républicain. Il a mené des campagnes comme celle contre la fouille corporelle et pour le bien-être des prisonniers. En outre, il a publié nombre de documents concernant les préoccupations des femmes dans le mouvement et en général. Ces publications revenaient souvent sur le droit de choisir, la contraception, le soin et l’éducation des enfants, et d’autres questions qui reflétaient les préoccupations du mouvement des femmes au sens large.

En fin de compte, la création du département a eu des répercussions positives en « féminisant » le mouvement. Une militante de Sinn Fein explique : « à mon avis, chez les camarades hommes, la conscience et l’acceptation de ce sujet [le féminisme] a été parallèle au développement du département féminin. »

Des expressions de cette éveil féministe sont patentes au vu de certaines décisions politiques prises par Sinn Fein au fil de son histoire. Comme le note Eilish Rooney, Sinn Fein a « une histoire d’engagement féminin dans la politique électorale qui remonte aux années 1970 », parallèle à la croissance du nombre de femmes dans la lutte armée et en prison. Sinn Fein a un système de quota dans son exécutif national, qui garantit que 25% des postes au Ard Comhairle (comité exécutif) sont réservés aux femmes, ce qui est une première pour un parti dans le Nord. De même, le parti s’engage à promouvoir des femmes dans des circonscriptions où elles sont éligibles, donc ne les utilise pas comme des agneaux de sacrifice. Dans cette lignée, Sinn Fein s’est efforcé de promouvoir la visibilité des femmes les plus actives dans le parti.

La garde des enfants a été une préoccupation importante depuis longtemps. Sinn Fein a été le premier parti à organiser des crèches pendant ses Ard Fheis, et cela depuis 1982. En 1986, une motion est passée qui exigeait que le parti paie pour la garde des enfants lorsque toute autre solution était indisponible. Depuis cette époque, le parti a des réserves d’argent pour la garde des enfants pendant toutes ses réunions, quelles que soient leur dimension, leur importance ou leur fréquence. De surcroît, les bureaux centraux de Sinn Fein [provisoire] procurent des enveloppes spéciales pour la garde des enfants de ses employées féminines, ce qui est aussi le cas dans ses bureaux locaux de Derry, Belfast et Dublin.

Violence domestique

La question de la violence domestique a été un des axes de travail principaux des féministes républicaines dans Sinn Fein. Feu Cathy Harkin, militante du mouvement des femmes de Derry, caractérisait la société du Nord en ces termes : « patriarcat armé ». Elle expliquait que les femmes dans les six comtés étaient exposées à une forme de patriarcat encore plus dangereuse qu’ailleurs, étant donné que la majorité des hommes étaient armés, qu’ils soient policiers, militaires ou para-militaires.

Beaucoup d’autres ont remarqué que le mouvement républicain était un milieu hostile pour les femmes, et qu’il est d’autant plus difficile de signaler la violence domestique que dans la communauté, le statut du volontaire est socialement respecté. On révère chez ce dernier la bravoure et le don de soi, qualités qu’on considère comme accompagnant nécessairement l’engagement d’une vie dans la lutte armée. Mettre en question l’honneur d’un volontaire en l’accusant de violences domestiques et autres abus, est un acte lourd, susceptible de fâcher d’autres membres de la communauté, ce qui fait que les plaintes restent enfouies. Évidemment, étant donné les rapports qui règnent entre les républicains et la police R.U.C., les femmes ne songent pas à aller porter plainte à la police pour ces crimes, ce qui les abandonne à leur propre sort pendant ces périodes critiques.

Les féministes républicaines se sont efforcées de soulever le problème de « l’idéologie » de la violence faite aux femmes, selon les mots d’une républicaine. Les féministes républicaines ont été actives dans la dénonciation de la violence domestique, oralement, en donnant des conférences publiques à ce sujet dans les communautés républicaines et par l’écrit, en publiant des articles dans des journaux féministes et républicains. Elles ont fait pression sur Sinn Fein pour que la question soit soulevée parmi ses membres, ce qui eut un certain succès. Leur plus grande réussite a été la création de centres consacrés à l’aide aux femmes violentées.

Sinn Fein [provisoire] met en avant des positions sur la violence domestique qui sont assez précises, au sujet du manque de structures de conseil et d’assistance pour les femmes, de la réforme du droit criminel en ce qui concerne les lois punissant la violence domestique, et qui situent la violence domestique dans « un contexte politique plus large ». Le parti, reconnaissant que les femmes rechignent à aller se confier aux services de police, propose des solutions alternatives comme des agences et des services de soutien tenues par les femmes elles-mêmes. Le parti affirme sa volonté de punir les responsables de violences domestiques : « tout membre de notre organisation qui abuse physiquement d’une femme sera démis de ses fonctions ou ostracisé par Sinn Fein. Nous considérons qu’il n’y a pas de place pour ce genre d’individus dans un mouvement révolutionnaire et discipliné. »

Le fait que la violence domestique n’ait pas été éradiquée ne signifie pas que les féministes républicaines n’ont pas réussi à combattre cette forme de patriarcat, la plus brutale. Ce qu’il faut reconnaître, c’est que les efforts des femmes républicaines sur ce sujet sont des moyens de résistance féministe. D’autre part, avoir forcé Sinn Fein, qui est un parti à dominance masculine, à avoir développé une plate-forme substantielle sur le thème de la violence domestique n’est pas rien, et prouve l’engagement des féministes républicaines.

Les droits concernant la procréation

Depuis la naissance du féminisme républicain, une des question les plus houleuses dans le mouvement républicain a été celle du droit des femmes de choisir de procréer ou pas, plus précisément en ce qui concerne l’avortement. A cause des liens historiques qui existent entre le républicanisme et le catholicisme, la question de l’avortement a été une épine dans le pied du mouvement républicain. Depuis qu’il a adopté comme un de ses objectifs le succès électoral, Sinn Fein [provisoire] a dû composer avec le mépris affectant cette question dans les 32 comtés tout en conciliant cela avec les pressions des féministes républicaines en vue de l’adoption d’une position pro-choix. Pour les féministes républicaines, l’avortement a été une question en litige prolongé dans le parti.

Une motion favorable au droit de choisir a été proposée lord de l’Ard Fheis de 1986 par un comité de Derry. La motion a initialement été adoptée, mais le parti l’annula suite à un tapage médiatique selon lequel « Sinn Fein, non content de tuer des gens, veut maintenant tuer les bébés ». Comme le dit une membre du parti : « cette motion nous a mis en difficulté politiquement, parce que nous ne sommes pas un parti de gouvernement, nous ne sommes pas dans le consensus dominant, et nous n’aurions pas pu faire avancer cette question même si nous passions la motion, tout simplement parce que nous ne serons pas au pouvoir demain ».

Bien que l’argument expliquant que la motion pour le droit de choisir aurait signifié un suicide politique pour un parti marginal est correct, étant donnée l’opinion publique sur la question, autant au Nord qu’au Sud, il met en lumière le fait que Sinn Fein [provisoire] fait primer à ce sujet son éligibilité sur les intérêts des femmes dans le parti. Faute d’une position sur le droit de choisir, Sinn Fein [provisoire] a opté pour le « droit à l’information », ce qui signifie l’éducation des femmes sur la grossesse et l’apport d’informations concernant les avortements hors d’Irlande. Sinn Fein [provisoire] soutient l’avortement au cas où la grossesse menacerait la santé physique ou mentale de la femme ou en cas de viol.

Des femmes dans le parti continuent de faire campagne pour une motion favorable au droit de choisir. Des prisonnières de guerre à Maghaberry ont proposé deux motions lors de l’Ard Fheis de Sinn Fein [provisoire] en 1998, qui appelaient le parti à adopter une motion acceptant l’idée que « les femmes ont en dernière analyse le droit au contrôle et à la décision en ce qui concerne leur propre corps », que « les femmes individuelles devraient avoir le droit de contrôler leur propre fertilité » et « qu’un débat à l’échelle nationale ait lieu dans le parti sur ces sujets, pour nous permettre de dépasser ce que nous considérons comme une attitude oppositionnelle de la part du parti. »

Les deux motions furent rejetées, leurs adversaires étant deux fois plus nombreux que leurs partisans.

Bien que la position de Sinn Fein [provisoire] sur l’avortement n’ait pas été celle que beaucoup de féministes républicaines auraient souhaité, ce qu’il importe de considérer dans le cadre de cette discussion, c’est la présence d’une forte conscience féministe chez les femmes qui se sont engagées dans le combat armé. Ces femmes ont adopté des positions féministes progressistes comparables à celles qui existent dans les cercles féministes classiques, radicaux ou socialistes. Cette défense de leur vues féministes dans des mouvements structurés, dominés et définis par des hommes, et cet engagement dans des activités qui sont considérées comme masculines et anti-féministes, rendent cette résistance certainement digne d’examen.

Conclusion

Depuis la fin des années 1960 et début 1970, les républicaines du Nord de l’Irlande se sont embarquées dans un processus de transformations sous le signe de la lutte nationale. Leur participation à la lutte pour les droits de la minorité catholique leur ont apporté une nouvelle identité en tant qu’actrices politiques.

Les échanges avec les féministes qui soutenaient leur cause et leurs séjours en prison ont été les catalyseurs de la formation d’une conscience féministe républicaine parmi ces femmes. Cela a débouché sur la reconnaissance du fait que leurs exigences et leurs besoins n’étaient pas les mêmes que ceux de leurs camarades hommes et de tous les autres qui ne s’identifiaient pas à la cause républicaine. Tout cela provenait de la destruction de la division public-privé qui avait depuis longtemps confiné les femmes du Nord dans leurs foyers.

Cet éveil créa un mouvement féministe progressiste à l’intérieur de la communauté républicaine, qui défia et continue de défier les tendances patriarcales d’un mouvement dominé par les hommes, et il démontra les liens qui existent entre l’auto-détermination irlandaise et l’auto-détermination des femmes. Les succès qu’ont eu les féministes républicaines dans leur projet illustrent le fait que la participation des femmes dans les luttes nationales peut être bénéfique pour les femmes. Ils démontrent que des femmes ont été capables de mobiliser leur énergie politique à la fois pour le combat nationaliste et pour la promotion d’un projet féministe progressiste.

Cela met en cause les idées reçues sur les tensions entre féminisme et nationalisme qui ont été mises en valeur par les auteures qui considèrent que les deux sont incompatibles. Il faut une nouvelle théorisation du travail d’organisation féministe dans les luttes nationalistes, afin de mieux comprendre non seulement le comportement politique des femmes, mais aussi les dimensions masculines et féminines des mouvements nationalistes.

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