« The new politics of Sinn Fein »

Voici le comte-rendu du livre de Kevin Bean, universitaire progressiste, intitulé « The new politics of Sinn Fein », par Anthony McIntyre, ancien prisonnier républicain. Les deux font partie de la cohorte des critiques républicains du « processus de paix ».

« La métamorphose des républicains provisoires, de terroristes fanatiques en politiciens bon teint, a été au centre de cette « nouvelle normalité », parce que l’objet principal de la stratégie britannique depuis bientôt 40 ans a été de vaincre le défi politique et militaire  que le républicanisme portait à l’ordre constitutionnel établi. Et à mesure que le processus d’institutionnalisation s’approfondissait, le pouvoir du mouvement se mesurait de plus en plus à sa capacité à obtenir de l’Etat des avantages matériels et politiques pour leurs circonscriptions électorales, et de moins en moins à son engagement pour un changement radical. » Kevin Bean

Avant de présenter sa robuste analyse de la « nouvelle politique » de Sinn Féin [provisoire], écrite en 2007, Kevin Bean invite son auditoire à considérer la toile de fond de l’affaire examinée. Le républicanisme provisoire en est venu à accepter la définition du conflit qui est celle de l’Etat britannique et a reconnu ce à quoi il s’était longtemps opposé : le fait qu’une Irlande unie ne pourrait se faire qu’avec le consentement d’une minorité dans le Nord de l’Irlande. Certes, cette volte-face de la direction provisoire a dû se faire avec beaucoup de dextérité, mais avant tout, elle doit être située dans un processus plus large qui a été aussi long que compliqué. Kevin Bean s’attelle donc à cette tâche d’expliquer les pressions et les limitations objectives qui ont façonné l’effondrement de la dimension républicaine du projet provisoire.

L’auteur ne fait pas mystère de l’aboutissement du conflit dans le Nord. Depuis 1998, le républicanisme a subi une « défaite décisive ». Les communautés de résistance sont devenues des réservoirs électoraux et les organismes communautaires sont devenus des agences de business. Bean illustre cette transformation en prenant l’exemple de « l’évolution du journal Andersonstown News, passé de la feuille d’informations du Comité de Résistance Civile d’Andersonstown en 1972 à un groupe de presse privé regroupant des journaux locaux influents ». Etendant son propos à l’IRA, il cite un commentateur présent à la commémoration de Bodenstown de 2005 qui écrivait : « tous les oripeaux paramilitaires ont disparu, remplacés par une procession de porte-drapeaux vêtus de blazers verts. On aurait pu croire à une procession de juges-arbitres de tennis à Wimbledon. »

Tout en reconnaissant le fait que la trajectoire des Provisoires a sa racine dans la dialectique entre eux et l’Etat britannique, l’ouvrage de Bean propose une vision plus panoramique du dispositif des forces qui se tiennent en arrière des lignes de front britanniques. Au lieu de se cantonner à la stratégie de l’armée britannique et aux négociations politiques correspondantes avec la direction provisoire, Bean montre toute la mosaïque des appareils qui sont entrés en jeu. Ces derniers avaient plus à voir avec les appareils idéologiques d’Etat qu’a décrit Althusser qu’avec les appareils répressifs d’Etat. L’accouplement d’une certaine orientation politique et de mesures sociales a tracé le chemin du cul-de-sac stratégique dans lequel le mouvement provisoire s’est engouffré.

D’après les propos d’une ancien ministre britannique, le but était d’amener Sinn Féin [provisoire] « à un partenariat mi-public mi-privé qui était l’essence de notre solution à long terme ». En 2000, un secrétaire d’Etat a affirmé avec confiance que « les catholiques d’aujourd’hui font partie de l’establishment comme jamais auparavant ». Si l’on ajoute à cela le fait que Gerry Adams a reconnu que dans le Sud, Sinn Féin [provisoire] était un parti de gouvernement, on peut mesurer la distance parcourue depuis ces temps impétueux de conflit violent, lors desquels Sinn Féin [provisoire] pouvait prétendre, de façon plausible, être autre chose qu’un parti catholique pour un peuple catholique.

Au cœur de l’enquête menée dans ce livre, on comprend que le communautarisme a été une idéologie puissante, insérée dans le discours et la pratique politique nord-irlandaise, principalement par l’Etat britannique et l’Union Européenne, mais aussi par la gauche britannique. Dans ce contexte post-moderne, cela a eu de l’influence sur la politique identitaire et communautariste des Provisoires, qui finit par en arriver à un accommodement avec l’Etat britannique dans les termes définis par les Britanniques.

Bean suggère que cette pénétration idéologique au sein du mouvement provisoire n’a pas été violente, la porte étant déjà ouverte par leur affinité pré-existante avec les influences post-modernistes. En effet, cette affinité s’explique par le fait que dans la mentalité provisoire, les idées politiques identitaires avaient depuis longtemps des positions dominantes. Ces idées finirent par usurper la place des idées libérationnistes universalistes, guidées par la grande vision de qui devrait diriger la société. C’est une façon universitaire de dire que les Provisoires ont opté pour l’interprétation du conflit qui était depuis longtemps en vigueur dans les cercles dirigeants, mais que les Provisoires avaient toujours rejetée.

Dans la bataille pour les définitions, les Provisoires ont été les premiers à baisser les yeux. Les Britanniques avaient réussi à définir le problème comme étant celui de l’opposition entre deux tribus, et non une lutte de libération nationale menée contre une puissance étrangère. Le résultat fut la suprématie des explications identitaires – qui prirent le pouvoir de définir les tenants et aboutissants du conflit au Nord – sur les explications nationales ou sociales.

Critiquant le particularisme dans lequel les Provisoires ont sombré, Bean devrait développer davantage ses vues, pour contrer un reproche possible : que son attaque du post-modernisme cache en réalité une attaque contre sa véritable cible, le pluralisme idéologique, qu’il trouve moins attrayant que les explications plus totalisantes qui façonnent sa lecture de l’histoire et de la politique.

Dans son ouvrage, Bean refuse de se joindre aux vue de beaucoup de républicains dissidents, selon lesquelles les dirigeants Sinn Fein [provisoire] se sont vendus et ont pris l’argent. D’après l’auteur, ces dirigeants étaient coincés dans un contexte social et politique façonné par l’Etat britannique, plus puissant que leur volonté. Cette considération est un bouclier nécessaire contre la critique douteuse voulant que la corruption et l’ambition soient les déterminants premiers de l’échec du projet républicain des Provos. Là où elles existent, la corruption et l’ambition sont davantage des aspects du traitement de la défaite que des causes de la défaite.

Au centre de cette thèse, on trouve l’explication de l’avènement du secteur économique communautaire qui a contribué à faire passer les Provisoires du statut de rival de l’Etat britannique à celui de partenaire subordonné dans la gestion de ce pouvoir. « Comme les Provisoires reconnaissaient que le pouvoir appartenait en fin de compte à l’Etat britannique, on octroya certaines des fonctions de l’Etat aux Provisoires, en qualité de sous-traitants. »

C’est là que Bean dégage toute l’importance des initiatives économiques-communautaires menées par l’Etat britannique, qui avaient initialement pour but de marginaliser les Provisoires, mais qui finirent par devenir le moyen de les incorporer dans le giron étatique britannique. Ils n’ont pas simplement été achetés, mais ce sont « les forces puissantes de l’Etat, de l’économie et de la société qui fournissaient le contexte externe de l’épuisement idéologique du projet provisoire de libération nationale. » Arrivés là, le républicanisme donne « l’apparence d’un projet idéologique historiquement en fin de course. »

Bean essaie d’élargir la trame explicative, de telle sorte que l’effondrement de la dimension républicaine du projet provisoire ne soit pas réduite à une « histoire des secrets diplomatiques de l’IRA ». En ce sens, même si ce n’est pas l’intention de l’auteur, ce livre complète le livre d’Ed Moloney The Secret History of the IRA, plus qu’il ne le réfute, étant donné qu’il donne la toile de fond sur laquelle Gerry Adams a pu mener ses entreprises diplomatiques personnelles.

Bean suggère qu’en 1980, ni Adams ni ses collègues ne pouvaient savoir où les mènerait ce processus de reculs et de négociations; il pense que les critiques républicains de Sinn Fein [provisoire] se trompent lorsqu’ils parlent à ce sujet de « direction idéologique en puissance » et de « vaste complot tramé par le groupe de Gerry Adams ». Le livre cite un ancien membre du ard comhairle [comité central] de Sinn Fein [provisoire] selon lequel Adams était mû par du pragmatisme plus que par des idées politiques, et qu’il est finalement allé là où le processus l’a amené. Contre cette interprétation se tiennent les propos récemment tenus par un autre ancien membre du ard comhairle, le scripteur révisionniste Danny Morrison, qui avait dit en février dernier que l’intention qui avait motivé l’abandon de l’abstentionnisme au congrès de Sinn Féin de 1986, c’était « de se donner l’opportunité d’en arriver à la position qui est la nôtre aujourd’hui ».

Même s’il s’agit d’une position révisionniste rétrospective, à laquelle Morrisson, qui n’a jamais été le plus perspicace des analystes, est arrivé des dizaines d’années après l’événement, il n’en restent pas moins des preuves contre le raisonnement de Bean, selon lequel cet aboutissement a été quelque chose de fortuit plutôt que voulu. En fait, cet aboutissement se lisait déjà d’après les faits sur le terrain, et à chaque phase du processus se vérifiait cette trajectoire que les critiques républicains avaient vu venir sans difficulté depuis ses débuts. Là où Bean parle d’une évolution hésitante de sa politique, ces critiques voyaient à l’œuvre la cautèle innée de Gerry Adams. En retirant toute trace de téléologie du projet d’Adams, Bean tend à atténuer une critique qui à part cela est très robuste. (…)

Bean introduit une nuance en expliquant que les Provisoires ont été vaincus, mais non détruits. Cette contextualisation est utile pour cerner la défaite. Comme il n’y a pas eu destruction au sens organisationnel, mais qu’un espace suffisant a été laissé pour permettre la mutation, on entend souvent des apologistes du projet provisoire dire que la défaite a été évitée et qu’un deal a été trouvé. Toutefois, la destruction des insurgés n’est pas le but premier des Etats modernes. Leur but, c’est la défaite des insurgés, suivie de cooptations. Pourvu que celles-ci puissent se faire, il n’y a pas de raison de détruire les structures organisationnelles des ex-insurgés, si celles-ci sont dépourvues de tout caractère insurrectionnel.

The New Politics of Sinn Fein augmente nos connaissances sur la façon dont un mouvement de guérilla moderne et bien armé peut être neutralisé. Bean explique bien son propos, mais il aurait pu le rendre plus accessible à tant de lecteurs supplémentaires s’il s’était départi de moments lourdement conceptuels et théorétiques qui font d’un livre, excellent par ailleurs, un délice à vocation universitaire, mais que le commun des lecteurs peut vite trouver revêche. Bean a dû jouer certaines notes pour que la musique de son livre puisse être entendue jusqu’aux plus hauts échelons des institutions savantes, où, s’il ne joue pas de malchance, ses capacités d’analyse résonneront longtemps encore. Néanmoins, les lecteurs intéressés par ces sujets profiteraient grandement d’un travail de popularisation des idées contenues dans cet ouvrage. Bref, Kevin Bean est l’un des analystes les plus pénétrants de la scène républicaine et ses considérations méritent une audience beaucoup plus large.

The New Politics of Sinn Fein by Kevin Bean. Liverpool University Press: 2007.

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