Soulèvement de Pâques 1916

Article écrit par Liam O’Ruairc et traduit pas nos soins, au sujet des polémiques concernant le Soulèvement de 1916, point central de l’idéologie républicaine irlandaise. L’article qui date de 2006 explique la grande valeur démocratique et révolutionnaire de cette insurrection et l’inanité des critiques impérialistes et social-pacifistes portées contre elle. 

 L’article d’opinion écrit par Geoffrey Wheatcroft dans le journal The Observer donnera aux lecteurs britanniques un avant-goût du genre d’arguments que l’on peut trouver dans les médias au moment du 90è anniversaire du Soulèvement de Pâques 1916. Les réactions ont été au mieux dubitatives, au pire hostiles : il est dit que le Soulèvement était criminel, non-démocratique, que c’était un acte sectaire menée par des des fanatiques déments qui n’avaient aucun « mandat » du peuple, qu’il engendra des carnages et une détresse indicible dans le coeur de Dublin, et qu’il fut dénoncé vertement et de tous les côtés à l’époque. Et que loin d’être célébré, un tel événement devrait être dénoncé.

Pour Wheatcroft, le Soulèvement de Pâques fut une « rébellion sanglante contre la démocratie parlementaire » parce que la rébellion eut lieu dans un Etat démocratique et que les insurgés n’avaient pas de mandat électoral. Pour les rebelles, une telle chose était incongrue, étant donné que l’Acte d’Union avait été imposé sans mandat démocratique et que la présence britannique en Irlande persistait sans aucun mandat démocratique.

En laissant de côté la question de savoir dans quelle mesure la démocratie existait sous l’Union, il suffit de dire qu’une claire majorité avait voté pour le Parti Parlementaire Irlandais lors des élections précédentes, mais il était alors évident que la loi de Home Rule de 1914 démocratiquement enregistrée allait être contrée par les Loyalistes, l’armée britannique et l’opposition conservatrice. Et les importations d’armes pour Larne et la mutinerie de Curragh, aidées et encouragées par l’opposition conservatrice, qu’étaient-elles, sinon une façon de saper la démocratie?

Plus généralement, ce qui caractérise les critiques du Soulèvement de 1916, c’est leur incapacité à comprendre la nature coloniale de la relation entre l’Irlande et la Grande-Bretagne. La domination britannique en Irlande n’est qu’un produit de la conquête, et la menace d’une force supérieure de la part de la puissance impériale était le contexte dans lequel se maintenait tout le discours politique. Cela fut illustré de façon frappante trois ans après lorsque la volonté démocratique de la première assemblée [first Dail] fut accueillie par le terrorisme d’Etat.

Certains critiques de 1916 nieront le fait que l’Irlande était alors une colonie ou que le Soulèvement peut se comprendre à partir du prisme de l’anti-colonialisme, et ils allègueront qu’il s’agissait d’un problème ethno-national de type est-européen ou balkanique. A ceux qui niaient la pertinence du caractère anti-colonial de la lutte entre 1916 et 1923, Nicolas Mansergh, un historien de l’Irlande et du Commonwealth de premier ordre écrivait en 1965 : « La contribution de l’Irlande a été d’affaiblir la volonté impériale et de saper la foi en l’Empire. Jusqu’à un certain point, l’Empire ne valait plus le coup. Stanley Baldwin résumait tout cela en disant qu’il ne fallait pas une deuxième Irlande en Inde. »

L’affirmation révolutionnaire d’une souveraineté nationale indigène dans le contexte du monde impérial de cette période donna à 1916 et à sa Proclamation une signification globale. Partout, les peuple dominés puisèrent une inspiration dans le Soulèvement de Pâques; Gandhi et Ho Chi Minh par exemple. « Son pouvoir communicatif hâta l’achèvement de l’âge impérial et colonial et, par son contexte plus large, en tant que révolution culturelle et politique, il créa un modèle qui changea le monde. » [Tom McGurk, The Easter Rising : the shots that changed the world forever, Sunday Business Post, 14 décembre 2003]

Les critiques disent que la commémoration du Soulèvement reviendrait à de la « glorification de la violence » et que les insurgés avaient des vues peu démocratiques puisque la majorité des votants soutenaient le parti de la Home Rule. Il est hors de doute que la violence a été au centre de l’émergence de l’Irlande moderne, mais la même chose peut être dite de la plupart des pays qui ont émergé depuis la Révolution française. Il est vrai que les insurgés de 1916 n’ont pas cherché de mandat électoral avant le Soulèvement, mais c’est le cas également des révolutionnaires français de 1789, 1830, 1848 ou 1871. Ce n’était pas non plus le cas de Garibaldi ou des révolutionnaires algériens et vietnamiens. Ce furent les Conservateurs et les Unionistes qui les premiers abandonnèrent les procédures constitutionnelles et introduisirent les armes dans la politique. C’est Bonar Law qui écrivait qu’ »il y a des choses plus fortes que les majorités parlementaires ». Si ces choses n’étaient pas arrivées, il est douteux que le Soulèvement se fût produit.

Au lieu de fixer son attention sur les vues peu démocratiques des insurgés, il est raisonnable de se concentrer sur la négation délibérée des principes démocratiques de la part des Conservateurs et des Unionistes. Si les critiques sont vraiment préoccupés par les commémorations qui mènent à une violence non-necessaire, ils devraient commencer par s’occuper du carnaval de militarisme et de glorification du terrorisme britannique qu’est le Remembrance Sunday. Lors de 10 minutes typiques sur le font de l’ouest [pendant la première guerre mondiale] le nombre de personnes massacrées au nom des intérêts de l’impérialisme britannique était supérieur à la somme de tous ceux qui sont morts pendant le Soulèvement. Alors que le Soulèvement était en grande partie une réaction contre la Grande Guerre et le militarisme, le Poppy [symbole impérialiste britannique représentant un coquelicot] est une célébration de ces derniers.

D’autres critiques ont allégué que le Soulèvement n’était pas nécessaire, que les nationaliste constitutionnels auraient pu réussir sans aucun recours à l’insurrection, puisque la Home Rule [autonomie] était inévitable vu qu’une loi en ce sens avait été passée le 18 septembre 1914 (avec application remise à la fin de la guerre) et que l’Empire allait être démantelé. En fait, la modeste mesure de Home Rule passée à la Chambre des Communes était rendue insignifiante par la conjugaison de la révolte armée des Unionistes de l’Ulster, la mutinerie de l’Armée britannique contre le Parlement et le rejet de la décision de la Chambre élue par la Chambre des Lords non élue, et par les partis britanniques conservateurs et unionistes. De sorte que, après trois décennies de débats, trois lois de Home Rule, et même une Home Rule formellement sur le papier, cela n’allait toujours pas se faire.

Plus important encore, les rebelles de 1916 n’agirent pas en vue de précipiter la Home Rule. La Home Rule et le concept d’une République d’Irlande n’étaient pas seulement deux choses différentes, mais diamétralement opposées l’une à l’autre. La Home Rule aurait permis à l’Irlande d’avoir un parlement « concierge » à Dublin, mais la Proclamation plaçait ses aspirations à un autre niveau : celui du grand but de la souveraineté irlandaise sans entraves – le droit du peuple d’Irlande à la propriété de l’Irlande, et le contrôle sans entraves des destinées irlandaises. Un parlement de Home Rule n’était qu’un transfert de services pour canaliser les exigences croissantes de démocratie irlandaise vers un système dont le contrôle appartenait en dernier ressort à la Couronne et à la Chambre des Communes. Si la notion d’une République d’Irlande n’était que cela, alors la Home Rule aurait donné au peuple irlandais souverain rien de plus qu’un statut de tenancier dans son propre pays.
Et quant à l’argument du démantèlement de l’Empire, la répression brutale des mouvements pour l’indépendance en Inde, à Chypre, dans l’ex-Rhodésie – la liste peut continuer – montre assez faiblement les indices d’un démantèlement nécessaire de l’Empire britannique. Le Soulèvement mit à l’ordre du jour l’independance beaucoup plus tôt que s’il n’y avait eu aucun, et sans lui, l’Irlande n’aurait pas été indépendante avant la Deuxième Guerre Mondiale, et encore qu’en sait-on?

On entend parfois dire que le Soulèvement a été un « sacrifice de sang » mystique. Comme le fait remarquer récemment l’historien Eoin Neeson, le Soulèvement n’a jamais cherché à être un « sacrifice de sang », et une telle idée a été « un des exemples les plus durables et prégnants de la sombre propagande dont ce pays a été affligé pendant les temps modernes ». A l’époque de la rébellion, on s’attendait à la victoire de l’Allemagne dans la guerre européenne. De l’avis général, la guerre aurait été suivie d’une conférence de paix dans laquelle, espéraient les insurgés, l’Irlande serait représentée, mais seulement s’il y avait eu un signal de sa détermination à obtenir l’indépendance. Les leaders de 1916 espéraient que l’IRA tiendrait trois jours pendant la semaine de Pâques, satisfaisant ainsi la demande allemande qui aurait alors tenu sa promesse de prêter l’oreille à l’Irlande, en tant que partie belligérante, lors de la conférence de paix de l’après-guerre; d’où la référence aux « courageux alliés en Europe » qui est dans la Proclamation.

Pour Wheatcroft, le Soulèvement de Pâques était le « précurseur » de la Marche sur Rome de Mussolini et du putsch de Munich de Hitler en 1923. « Patrick Pearse portait aux nues dans ses discours malades le besoin d’effusion de sang pour enrichir la vieille Terre fatiguée, un type de discours Blut und Bloden (« sang et sol ») que les Nationaux-Socialistes emploieraient bientôt. » Rien ne peut être plus éloigné de la vérité. « L’arbre de la liberté doit continuellement être arrosé du sang des martyrs et du sang des tyrans ». Cette phrase typiquement Pearsienne a été écrite par Thomas Jefferson. Devons-nous en conclure que la guerre d’indépendance de l’Amérique était un précurseur du fascisme?

N’oubliez pas que les critiques les plus acerbes du soi-disant « bain de sang » de 1916 sont ceux-là mêmes qui prennent part avec le plus d’enthousiasme aux cérémonies militaristes de l’Empire dans la Somme ou au jour des Poppys [« coquelicots » – cf infra] ou qui essaient de réhabiliter le redmondisme « pacifique » – qui recrutait des sergents pour la guerre de l’Empire contre l’Allemagne et la Turquie – acheminant des milliers d’hommes vers leur mort. Ceux qui pensent que 1916 fut une erreur devraient mettre en avant leur solution alternative : le va-t-en-guerre impérialiste Redmond qui était disposé à mener au « sacrifice de sang » 50.000 Irlandais en échange d’une promesses non tenue d’autonomie locale!

D’après Wheatcroft, « commémorer le 90è anniversaire de la rébellion de 1916 revient pour l’Irlande à trahir la démocratie ». « En 1916, le Royaume Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande était une démocratie avec un gouvernement représentatif limité et un Etat de droit. » Cette affirmation que le Soulèvement n’était pas un événement démocratique doit être replacée dans un contexte plus large; alors que la Proclamation de 1916 acceptait au moins « les suffrages de tous ses hommes et femmes », Westminster continuait de refuser le vote des femmes sous le prétexte qu’accepter une telle chose aurait constitué une capitulation devant le terrorisme, et tous les parlementaires irlandais étaient d’ailleurs contre le doit de vote des femmes à l’époque du Soulèvement! Il semble bien que les rebelles aient eu une meilleure compréhension des fondamentaux de la démocratie que leurs critiques ne le disent. Même si elle n’est pas parfaite, la Proclamation établit un jalon important dans l’histoire du droit des femmes, bien avant que le berceau auto-proclamé de la démocratie moderne à Westminster ne fasse un pas vers lui.

Lors d’une conférence récente, Owen McGee a jeté une lumière supplémentaire sur ces matières en expliquant à quel point les nationalistes catholiques qui suivaient les partis politiques, comme celui de Redmond, étaient violemment opposés à l’Irish Republican Brotherhood [l’organisation armée des Fenian, républicains clandestins], caractérisée comme anti-catholique et promouvant la séparation de l’Eglise et de l’Etat telle qu’elle était pratiquée dans la France républicaine. Ces partisans des partis parlementaires et les gens comme eux n’étaient pas vraiment concernés par la question de savoir si leur Etat octroyé par Home rule serait placé ou pas sous la tutelle d’un monarque, pourvu que son caractère catholique reste intact. Il apparaît que les protestants unionistes avaient moins à craindre des révolutionnaires républicains que des nationalistes constitutionnalistes catholiques. La Proclamation de 1916 établissait la garantie de la tolérance religieuse et la liberté de culte pour tous les citoyens de la nation. Alors que les régimes fascistes tournaient le dos à la démocratie, le Soulèvement de Pâques allait vers elle.

Etant donné que l’idéologie officielle du régime du sud [de l’Irlande] est « la paix et la réconciliation », on pouvait s’attendre à ce que Liz McManus, parlementaire du parti travailliste organisatrice du comité inter-partis pour la cérémonie, insistât sur la nécessité de commémorer tous les protagonistes. « Je mets en avant l’idée que nous devrions commémorer les civils qui sont morts, mais aussi les gens qui faisaient leur devoir dans la police et dans l’armée britannique » dit-elle. Montrant un autre signe de « réconciliation » et de révisionnisme, le gouvernement irlandais a programmé une seconde commémoration en juillet pour honorer la mémoire de ceux qui ont péri dans la Somme en 1916, combattant avec les Britanniques. Cependant, les deux sont incompatibles. Alors que les insurgés combattaient pour la démocratie et la liberté, ceux qui combattaient dans la Somme le faisaient pour le Roi et le Pays. En d’autres termes, ils combattaient pour l’Empire britannique, un projet tricentenaire de conquête mondiale, de colonisation, de nettoyage ethnique et de génocide.

La participation irlandaise à l’effort de guerre a contribué à l’extension de l’Empire britannique sur de vastes territoires en Afrique et au Moyen-Orient au sortir de la Grande Guerre, Empire qui continue d’accumuler ses atrocités, comme en Palestine et en Irak aujourd’hui. Loin de commémorer la « Grande Guerre » comme un événement positif, elle devrait être désignée comme un « crime contre l’Europe » et une « guerre contre la nation allemande », dans la tradition de la politique étrangère irlandaise initiée par Casement et Connolly. Les gens comme Connolly pensaient que le Soulèvement était justifié parce que la Grande-Bretagne les avait embarqués dand une guerre mondiale et avait suspendu la démocratie.

Si l’ordre établi pense vraiment que les commémorations des morts de la Guerre Mondiale peuvent établir un terrain commun pour unionistes et nationalistes, et si nous devons célébrer un héritage commun, il devrait alors faire campagne pour l’érection au Royaume-Uni de monuments à la gloire de membres de l’IRA comme Tom Barry et Dan Breen. Après tout d’après l’Histoire, ces hommes étaient britanniques jusqu’en 1922 , et font donc partie du passé de la Grande-Bretagne aussi bien que de celui de l’Irlande. On opposera à cette idée que cela serait contradictoire, à cause des sensibilités unionistes et de celles des gens ayant de la famille dans les forces de sécurité. Mais si les Unionistes et les proches de ceux qui sont morts en combattant l’idépendance de l’Irlande ont un veto en Grande-Bretagne, alors pourquoi les Républicains et les descendants de ceux qui sont morts pendant les Guerres d’Indépendance n’ont pas le même privilège en Irlande?

En confondant les insurgés et ceux qui les ont combattus, ceux qui sont morts à Dublin et ceux qui sont morts dans la Somme, le sens originel de 1916 est complètement déformé et perdu.

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