Le monde brutal des prisonniers politiques en Inde

prisionerAprès avoir passé trois jours à voir son fils, un adolescent, se faire torturer, Utpal Mahato n’en pouvait plus. En désespoir de cause, il a demandé à son fils de dire aux policiers ce qu’ils voulaient entendre – à savoir qu’il avait participé à une des attaques terroristes les plus meurtrières de toute l’histoire de l’Inde. En effet, le village de Rasua dans la région tribale de Junglemahal, dans le Bengale de l’Ouest, est un village de suspects aux yeux de la police. C’est non loin de cette localité que le 28 mai dernier, un groupe de personnes avait saboté les rails de la ligne ferroviaire reliant Calcutta à l’Inde centrale.

Peu après, le Jwaneswari Express sortit des rails, et avant que les autorités ne puissent réagir, un train de marchandises venant d’une autre direction le percuta, ce qui engendra la mort de 148 passagers. Mise en demeure d’obtenir rapidement des résultats, la police s’est tournée vers les villages environnants et s’en est prise à des suspects. Les habitants de la localité parlent d’intimidation systèmatique et de torture, de la part de la police. « Ils m’ont mis dans la prison du commissariat et m’ont passé à tabac » dit M. Mahato. « Quand ils apprirent que j’avais un fils, ils l’ont embarqué lui aussi. Ils nous ont attaché les mains et les pieds et nous ont suspendu en l’air. Ils nous frappaient les plantes des pieds avec un bâton ».

M. Mahato, qui est ouvrier, a pu faire prouver par son employeur qu’il se trouvait à la frontière de l’Etat, à Odisha, au moment de l’incident, mais son fils Hiralal, âgé de 17 ans, n’a pas eu cette chance. « Il a été battu sauvagement » nous dit M. Mahato, une douleur contenue dans le regard. « A la fin, je n’en pouvais plus. Je lui ai demandé de dire qu’il était dans le coup, car c’était la seule façon de les faire s’arrêter. »

Environ 40 personnes ont été accusées d’avoir participé à cette action. Quatre familles du village de Rasua ont des enfants qui attendent leur procès. Ils nient toutes implication, mais disent que leur crime est de faire partie d’un mouvement appelé Comité Populaire Contre les Atrocités Policières [People’s Committee Against Police Atrocities (PCPA)]. Le PCPA a été formé en novembre 2008 après une incursion brutale de la police, cette-fois en réponse à la tentative d’assassinat du ministre Bhuddadeb Bhattarcharya par les insurgés maoïstes, qui sont actifs dans la région depuis 15 ans.

Les récits faisant état de passages à tabac et de harcèlement sexuel de la part de la police avait suscité une grande colère populaire dans toute la région du Junglemahal. Des dizaines de milliers de villageois ont manifesté sous les bannières du PCPA, forçant la police à évacuer la région pendant huit mois. Le PCPA a établi des sous-comités dans plus de 1.300 villages, cette lutte est considérée comme exemplaire dans le contexte des luttes pour les droits des « tribaux » d’Inde. Mais comme les maoïstes sont étroitement liés à ce mouvement, celui-ci a été qualifié de front maoïste par la police et le gouvernement. Lorsque la police est revenue dans le Junglemahal en juin 2009, elle a capturé des centaines de membres du PCPA, les accusant d’être maoïstes et de mener la guerre à l’Etat. Un certain nombre de dirigeants du mouvement ont été tués et davantage sont emprisonnés sous l’égide d’une loi anti-terroriste draconienne, appelée loi de prévention des activités illégales [Unlawful Activities (Prevention) Act], qui rend illégal le simple fait de faire partie d’une organisation interdite, qu’un délit ait été commis ou pas.

« La police venait dans nos maisons et arrêtait les gens au hasard, avant de les tabasser » dit Mayna Mahato, dont le mari, Bholanat, est accusé d’avoir participé à l’attaque du Jwaneswari. « Si quelqu’un est arrêté, la loi dit qu’il doit être présenté devant les juges dans les 24 heures, mais ils ont gardé Bholanath pendant une semaine. Il a été sévèrement tabassé au commissariat. Ils ne nous disaient pas où ils le retenaient. Nous allions de commissariat en commissariat pour le retrouver, mais ils ne nous disaient rien. » Alors que je parle avec elle, d’autres femmes nous rejoignent et nous rapportent leurs propres récits de harcèlement, expliquant que les policiers avaient volé chez elles leurs télévisions, leurs radios, de l’argent, et détruisaient les cartes de rationnement et les papiers d’assurance quand ils n’obtenaient aucun renseignement. « Ils voulaient savoir où était mon frère » dit Saraswati Mahato. « Ils m’ont arraché des mains ma fille de 4 ans et m’ont menacé de la jeter dans le puits si je ne parlais pas. »

Lors d’une interview donnée anonymement, un membre très haut placé de la police du Bengale de l’Ouest a reconnu qu’il était démuni devant ces agissements perpétrés dans ces régions lointaines. « Nous punissons les policiers en cas de plaintes et de violations des droits de l’homme » dit-il. « Mais il est difficile d’éradiquer entièrement le phénomène. Les policiers étaient sous haute pression, ils devaient obtenir des résultats dans l’affaire du Jwaneswari. C’est une région immense, il est difficile de savoir ce qui se passe au niveau local. »

Il a reconnu que la police jetait souvent en prison des innocents lors des raids menées contre le PCPA. « Je ne nie pas qu’il y ait beaucoup de passants et de simples sympathisants emprisonnés » dit-il. Cette question a été soulevée au plus haut niveau de l’Etat du Bengale de l’Ouest, par le ministre Mamata Banerjee, qui vient de gagner les élections et de mettre fin à 34 ans de pouvoir communiste dans le Bengale de l’Ouest. Mme Banerjee a gagné du crédit dans le Junglemahal en promettant que les démarches qui s’imposent seront faites pour libérer tous les prisonniers politiques qui croupissent en prison sans procès ». Des rumeurs persistantes font état de négociations entre elle et les maoïstes, afin de s’assurer leur soutien dans cette zone.

Des groupes de défense des droits civils affirment qu’au moins 700 personnes, peut-être des milliers, sont concernées. Mais ils font face au problème qui est que la notion de prisonniers politiques n’existe pas au Bengale de l’Ouest. La police, qui rechigne à admettre que les arrestations ont un motif politique, a accusé ces personnes de divers crimes et délits, que les critiques considèrent comme des fabrications. Monoj Mahato, ancien porte-parole du PCPA, qui a té accusé d’une série de meurtres et qui est en attente d’un procès, nous dit : « J’ai signé une pétition pour être traité en tant que prisonnier politique, mais on ne m’a jamais accordé cet honneur ». « Ils m’ont accusé de meurtre parce que j’ai défendu le peuple et parlé des problèmes qu’il subit dans sa vie quotidienne. C’est la seule raison.

Nous souhaitons parler à Mamata de nos problèmes, avant de se faire élire, elle disait vouloir se battre pour les droits des gens de Junglemahal. Si elle ne le fait pas, le véritable visage de ce gouvernement se révèlera comme n’étant que l’autre face de la même pièce ».

Source : ici

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