Terry Eagleton – La veillée funèbre (‘Wake’)

Connue ailleurs sous le nom de funérailles. Les Irlandais sont passés maîtres dans l’art de faire de la mort une festivité, comme de s’amuser dans la vie. Lors d’une veillée funèbre, le gisant est installé à la vue de tous dans la maison de famille, et les voisins passent pour saluer les parents, boire, manger, parler, jouer de la musique, et parfois danser. L’ensemble peut durer plusieurs jours. Ces choses arrivent encore en Irlande, en particulier dans les campagnes. Il s’agit à l’origine d’une idée païenne, comme la plupart des choses de la culture populaire du passé. La spiritualité celtique, les pratiques païennes et les croyances chrétiennes se sont mélangées. Les veillées funèbres reflètent une peur de la mort : nous gratifions les morts d’un bon au revoir au cas où ils voudraient revenir pour nous hanter. Mais elles reflètent aussi la croyance que la vie et la mort sont entrelacées. Les Irlandais ne cherchent pas à aseptiser la mort, comme d’autres nations.

eagletonAutrefois, les veillées pouvaient devenir agitées, étant donné la quantité d’alcool qui était consommée. On pouvait mettre une bouteille de whiskey dans la main du gisant, lui mettre une pipe en bouche, ou encore, si la veillée devenait sauvage, le prendre avec soi sur la piste de danse. C’était un signe d’amitié pour le défunt, pas un manque de respect. Il s’agissait de le consoler du malheur d’être mort. Lorsqu’une personne émigrait aux Etats-Unis, une veillée américaine était organisée pour elle. Beaucoup de candidats à l’émigration voyaient leur départ aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne un peu comme un départ aux cieux, bien que ces expériences pouvaient avoir un goût infernal.

La culture populaire dans l’Irlande d’autrefois avait souvent des airs de carnaval. Lors des festivités, les gens pouvaient se dénuder, se travestir, se moquer du mariage, et faire des jeux sexuels. Certains de leurs jeux moquaient le clergé, parfois même le Christ. Brian Merriman, poète du 18è siècle écrivit un en irlandais un poème grivois et drôlatique intitulé Tribunal de Minuit où le poète, en jeune homme célibataire, s’endort et fait un rêve. Une fée monstrueuse apparaît et le traîne devant le tribunal de la Reine des femmes, l’accusant de persister dans le célibat alors que les femmes irlandaises se languissent de désir. Les femmes se plaignent du manque de partenaires disponibles pour le mariage, et du fait anormal que les ardentes jeunes femmes s’unissent à des vieillards tout flétris. Au nom de la gent féminine, la Reine juge le poète coupable de célibat anti-social et va proposer une punition au poète, au moment où, heureusement pour lui, il se réveille.

Les Irlandais ont été traditionnellement une bande iconoclaste, et leur culture populaire pouvait être rude, frappante et exubérante. Mais la Grande Famine, au siècle dernier, en a tué une grande partie, bien qu’elle fût déjà en train de disparaître. L’Eglise a toujours été hostile à ces festivités, les voyant comme une menace portée à son autorité, et l’Irlande d’après la Famine est devenue un endroit plus sobre et respectable. Mais on peut trouver des traces de cette culture satirique dans l’Irlande d’aujourd’hui, dans l’irrévérence et la destruction des mythes. Ils n’attirent plus les cadavres sur la piste de dance, mais ils peuvent vous attirer vous s’ils se sentent d’humeur assez festive.

Terry Eagleton : The Truth About The Irish, St Martin’s Griffin, New York, 1999, pp. 170-171

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